Spoilers

il y a toujours un phare

Bioshock Infinite

Et si chaque monde, chaque univers possible cachait la même illusion ? Et si chaque choix est guidée secrètement par des constantes, quels variables nous reste-il ?

La saga Bioshock dénonce des utopies trompeuses : des cités idéales en apparence, mais gangrenées par leurs propres excès. À chaque fois, l’ordre parfait tourne à l’effondrement, révélant des systèmes fondés sur l’injustice, l’exclusion et la violence.

Mais moi, ce qui me fascine dans Infinite, ce n’est pas seulement cette critique sociale. C’est la façon dont il glisse progressivement vers quelque chose de plus vertigineux : une réflexion sur la nature même du réel.

Le jeu s’amuse avec les failles de l’univers, les mondes parallèles, les possibles qui coexistent. À chaque choix, une nouvelle réalité. À chaque variation, une illusion de liberté. Et pourtant, toujours les mêmes schémas.

Pour le contexte.

Booker DeWitt, ancien soldat rongé par la culpabilité, est envoyé à Columbia pour ramener une jeune femme mystérieuse. Columbia, cité volante fondée par un prophète mégalo, se présente comme une utopie patriotique mais cache une société profondément inégalitaire. Elizabeth, enfermée dans une tour et surveillée depuis l’enfance par une créature appelée Songbird, détient un étrange pouvoir : elle peut ouvrir des failles vers d’autres réalités.

Ensemble, ils vont découvrir que chaque monde est une version d’un même cycle, et que la liberté n’est peut-être qu’une illusion…

Des constantes…

Infinite joue avec l’idée que tout pourrait être écrit d’avance. Ou du moins, que certaines choses sont inévitables. Comme s’il y avait des points fixes dans l’univers, des constantes, autour desquelles gravitent nos décisions, nos vies, nos évolutions, nos déclins…

Chaque monde est une variation, une combinaison de choix différents… mais tous mènent à des structures similaires. Comme si derrière la liberté de nos décisions se cachait une mécanique inévitable, programmée pour répéter les mêmes schémas.

« Il y a toujours un phare, toujours un homme, toujours une ville » : cette phrase répétée à l’infini est plus qu’une formule. C’est une condamnation. Un cycle. Une constante.

et des variables…

Les choix faits par les héros représentent les variables : ce sont les éléments mouvants, les décisions, les attitudes qui peuvent modifier, en surface, le cours d’une réalité. Dans Infinite, c’est par exemple le fait d’accepter ou non un baptême, de rejoindre ou non une faction, ou de protéger ou trahir.

Chaque version de la « réalité » dans le jeu peut être vue comme une variation parmi d’autres dans un ensemble infini de mondes possibles, chacun né d’un choix différent.

C’est une représentation du multivers inspirée des théories de physique quantique : à chaque choix, une nouvelle ligne temporelle se dessine, un nouvel univers se forme.

Infinite illustre ce principe à travers ses failles, ces ouvertures vers d’autres mondes qui ont évolué autrement, mais finissent souvent par suivre une logique étrangement similaire.

dans un cycle infini.

Malgré le périple de Booker et Elizabeth, malgré les décisions prises, les sacrifices consentis, une impression persiste : celle de tourner en rond.

Les univers qu’ils traversent se ressemblent tous dans leurs fondations. À chaque monde, une autre tentative, une autre variation… mais toujours les mêmes mécaniques qui reviennent.

Cela interroge à la fois la nature de l’univers et celle de notre propre condition : sommes-nous vraiment libres de choisir, ou simplement en train de rejouer ailleurs les mêmes histoires, avec d’autres noms ?

Le symbole du phare, là où commence l’aventure, incarne à la fois un point de départ et un point de retour. Une porte, mais aussi un repère fixe. Il est le marqueur des constantes, de ce qui semble ne jamais bouger malgré toutes les possibilités.

La ou LES timelines de Bioshock Infinite... complexe !

Dernière faille

Après tant de failles traversées, de réalités alternatives explorées, on comprend avec Elizabeth que toutes les versions possibles mènent aux mêmes dérives. La seule issue, ce n’est pas de choisir une meilleure réalité, mais d’empêcher que tout commence.

Elizabeth ramène donc Booker au moment-clé : celui où il accepte son baptême et devient Comstock, le prophète manipulateur à l’origine de Columbia. Mais cette fois, elle l’en empêche.

Ce n’est pas un acte de vengeance, ni même de justice : c’est un geste de libération. En supprimant la possibilité même que Comstock existe, elle brise le cycle à sa source.

Ce n’est pas seulement une scène marquante, c’est le cœur même du message du jeu : Elizabeth choisit de tuer son père (oui !), et ami, Booker. Non pas par haine, mais pour le libérer de ce qu’il était destiné à devenir.

En supprimant l’un des éléments du triptyque des constantes – un homme, une ville, un phare – elle casse le schéma. Elle ne modifie pas l’histoire, elle fait en sorte qu’elle n’ait jamais lieu.

Et ce geste, à la fois intime et profondément marquant, ouvre enfin un espace vide. Une faille hors du cycle. Une infinité d’infinités de possibles…

C’est peut-être ça, au fond, le plus troublant dans Bioshock Infinite : cette idée que les histoires, les sociétés, et même les individus, rejouent sans cesse les mêmes mécaniques. À grande échelle comme à l’échelle intime, on construit, on détruit, on recommence. Mais parfois, une faille s’ouvre. Une lucidité, un choix, une rupture. Et là, tout devient possible.

En tout cas, il y a toujours un phare.