
Complotiste !
L’étiquette qui fait taire
J’ai rien dit de fou. Juste une remarque, presque anodine. Un « tu trouves pas ça bizarre quand même ? » glissé entre le fromage et le dessert, comme une vanne en passant. Mais visiblement, c’était une phrase de trop. Les regards se sont figés, comme si j’avais allumé une alarme invisible. Quelqu’un a soufflé : « attention, on va pas partir en mode complotiste hein ! » Et voilà. D’un coup, plus personne ne m’écoutait vraiment. Je n’étais plus un interlocuteur, mais une case. Une étiquette. J’étais devenu le type gênant, celui qu’on préfère ignorer que contredire. Coupable de douter au mauvais moment.
Depuis quand remettre en question une version officielle fait-il de nous un illuminé ? Pourquoi le simple fait de s’étonner, de chercher, d’interroger, devient-il une preuve d’égarement ? À force de vivre dans une époque où tout est récupéré, transformé et manipulé à outrance, le doute lui-même est devenu suspect. Il n’est plus l’étincelle de la pensée critique, mais l’ombre d’un complot.
Ici, je veux parler de cette dérive. De ce moment où le mot « complotiste » est devenu une étiquette mal perçue que l’on vous colle, une façon de vous mettre à l’écart, une arme rhétorique pour évincer un adversaire et une idée.
Dans un monde où la post-vérité remplace le factuel par le sensationnel, où les discours prennent le pas sur le réel, comment continuer à penser librement sans finir cloué au pilori ?
D’abord, oui, les complots ça existe !
Alors déjà partons d’un constat simple que tout le monde semble avoir oublié finalement : les complots, les jeux de pouvoir, de manipulation, de domination, ça existe depuis la nuit des temps !
Dans des sociétés hiérarchisées, pyramidales, où chacun veut s’imposer aux yeux du monde, où 1% des plus riches étouffent les 99%, les complots sont même monnaie courante. Les médias eux-mêmes sont possédés par des milliardaires, souvent proches du pouvoir politique, ce qui interroge leur rôle dans la construction du « vrai ».
Le doute, ennemi d’une époque post-vérité ?
Dans une société saturée d’opinions, où chaque information semble aussitôt contredite par sa contre-version, il devient difficile de savoir sur quoi s’appuyer.
Le doute, autrefois moteur du progrès et pilier de la pensée critique, se heurte aujourd’hui à une réalité trouble : il dérange. Il irrite. Il fait peur.
Le concept de « l’ère de la post-vérité », décris un moment où les mots ont perdus leur sens, où les repères s’effacent, où même les concepts les plus simples deviennent flous. Et quand les mots deviennent flous, on ne peut plus penser clairement. On débat sur des slogans, on s’affronte sur des impressions. Le langage, au lieu d’éclairer, embrouille. Et dans ce brouillard, il devient presque impossible d’imaginer autre chose, de construire un futur commun.
On ne cherche plus à convaincre avec des preuves, mais à séduire avec une narration. La vérité devient subjective, mouvante, presque accessoire.
Dans ce contexte, douter n’est plus perçu comme une étape vers la compréhension, mais comme une prise de position. Le sceptique devient suspect. On ne lui demande plus ce qu’il pense, mais de quel bord il est.
Et c’est peut-être là le plus inquiétant : dans une démocratie, le doute est une respiration. Le perdre, c’est s’asphyxier doucement, mais sûrement. Se conformer à l’idéologie dominante, dictée par les puissants…
Quand remettre en question devient subversif
Douter n’est pas nouveau. Mais aujourd’hui, ce doute semble prendre une tournure étrange : il n’est plus seulement marginalisé, il est criminalisé.
Pourtant, comment ne pas s’interroger quand les gouvernements eux-mêmes se sont régulièrement discrédités ? Mensonges d’État, conflits d’intérêts, promesses trahies, les exemples sont légion.
La confiance dans les institutions est au plus bas. On ne croit plus aux partis, à la justice, aux médias, et parfois même à la science.
Pas par irrationalité, mais parce qu’on a vu trop de retournements de veste, trop de scandales étouffés, trop de vérités reconditionnées. Dans ce climat, remettre en question une version officielle n’est pas une dérive : c’est presque une hygiène mentale.
Mais voilà, dans cette époque de post-vérité, ce doute est perçu comme une menace. Il est immédiatement disqualifié, associé à l’extrême, à l’irrationnel, au danger. Comme si penser autrement, c’était déjà penser mal. Comme si refuser l’histoire qu’on nous raconte, c’était vouloir la guerre.
Et pendant ce temps, les contre-pouvoirs, censés garantir un équilibre, s’effacent dans le décor. La « démocratie » devient théâtre, la vérité, une mise en scène. Et le citoyen qui doute ? Un figurant indésirable.
Réapprendre à douter
Alors oui, bien sûr, certaines théories partent en vrille. D’autres tournent à l’obsession, jusqu’à perdre pied avec la réalité. Mais ce n’est pas une raison pour jeter tout le reste à la poubelle.
Il existe une base solide de vérités documentées, historiques, qui montrent que le pouvoir ment, que les institutions trahissent, que les récits officiels ne sont pas toujours les bons. Un fait est un fait. L’interprétation qu’on en fait, c’est une autre affaire.
Dans une époque où tout est confusion, où le langage est tordu, il devient vital de réapprendre à douter. Non pas douter pour rejeter, mais douter pour comprendre. Réhabiliter le doute sain, celui qui construit. Celui qui éclaire. Celui qui ne condamne pas mais interroge.
Une société évoluée ne devrait pas avoir peur du doute. Elle devrait l’enseigner. Pas comme une menace, mais comme un outil.
On ne devrait pas dire : « voici ce qu’il faut penser », mais poser la question : « comment en est-on arrivés là ? ».
Et tant qu’on ne réapprend pas à douter, vraiment, on reste à la merci de ceux qui racontent l’histoire à notre place…
« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. » — George Santayana
Les théories restent des théories jusqu’à preuve du contraire.
Pour finir mon raisonnement, je pense intimement que la « vérité » est en perpétuel mouvement.
Ce que l’on considère comme un fait intangible aujourd’hui peut être remis en question demain, à la lumière de nouvelles découvertes, de nouveaux paradigmes.
C’est tout le rôle de la science : avancer en acceptant l’idée d’avoir peut-être tort.
Je pense par exemple à l’époque de l’obscurantisme religieux, où affirmer que la Terre tournait autour du Soleil était considéré comme une hérésie. Des penseurs comme Copernic ou Galilée n’étaient pas des illuminés, mais des chercheurs rigoureux. Pourtant, ils ont été censurés, humiliés, parfois emprisonnés, pour avoir osé remettre en cause le dogme établi.
Ce que cela révèle, c’est que même face à l’évidence, les sociétés peuvent préférer le confort de la croyance à l’inconfort du doute.
Et aujourd’hui encore, cette tentation persiste. Mais l’Histoire nous apprend que la science avance contre les certitudes, jamais avec elles. Refuser de questionner, c’est risquer de retomber dans l’obscurité.